Description, argumentaire et objectifs
Les recherches avec du point de vue des personnes premières concernées
L’objectif principal du symposium 2025 est d’explorer les recherches avec au prisme des personnes et des communautés directement concernées, c’est-à-dire les personnes citoyennes, y compris usagères des différents organismes communautaires vers lesquels elles se tournent, ainsi que le personnel de ces organisations. Il s’agit de mettre en lumière la multiplicité de leurs voix et expériences dans les processus de recherche participative pour garantir que leurs perspectives y soient non seulement reconnues, mais également incontournables. Cela répond ainsi aux défis des démarches participatives à créer un espace de participation véritablement inclusif des personnes directement concernées, au-delà d’approches limitant leur contribution au témoignage (Hall et Tandon, 2017; Godrie, Juan et Carrel, 2022). Le symposium propose donc : 1) De croiser les expériences et réflexions des personnes et communautés premières concernées avec celles d’universitaires, d’étudiant·es et de professionnel·les sur les dimensions éthiques, méthodologiques, épistémologiques et politiques des recherches participatives; 2) D’examiner les possibilités de nouveaux espaces et modalités de production et de mobilisation des connaissances issues d’un territoire local, l’Estrie, en dialogue avec des expériences internationales.
Se décentrer des réalités vécues par les universitaires
La littérature en sciences sociales tend à privilégier l’analyse des réalités, expériences et défis des recherches participatives du point de vue des chercheur·es universitaires, reléguant souvent au second plan celle des personnes et des groupes impliqués dans ces démarches (Chevalier et Buckles, 2019; Tilley, 2017; Loignon et al. 2021). Les membres du réseau Recherche avec souhaitent inverser cette dynamique en interrogeant, lors de ce symposium, les recherches participatives du point de vue des personnes et communautés directement concernées, ainsi que les déplacements éthiques, méthodologiques, épistémologiques et politiques produits par la prise au sérieux de ce point de vue dans les processus de recherche. Ce sujet est d’autant plus important que malgré les appels à la co-construction avec les personnes directement concernées lancés par les organismes subventionnaires, des travaux constatent une prédominance d’approches participatives réalisées avec des personnes concernées les plus favorisées, laissant souvent de côté les savoirs et expériences des personnes marginalisées (Petiau, 2021; Loignon et al., 2021; Godrie, 2021).
- Méthodologie et orientations conceptuelles
Le Symposium Recherche avec 2025 est le fruit d’une méthodologie participative étendue sur 24 mois, incluant des rencontres virtuelles mensuelles réunissant une vingtaine de personnes. Sa thématique a émergé des conclusions du 5e symposium sur la justice épistémique (France 2023) et d’une semaine scientifique préparatoire en avril 2024 à Sherbrooke qui a réuni une délégation internationale de 30 membres du réseau ainsi que des universitaires et membres d’organisations partenaires locales (intervenant·es des milieux institutionnels et associatifs, et usager·es). Ces échanges ont mis en évidence la nécessité de donner la voix aux personnes et aux communautés premières concernées afin d’interroger leurs expériences et réflexions sur les processus de recherches avec.
Il nous est ainsi apparu crucial d’analyser la nature exacte des relations qui s’établissent dans les recherches avec et la manière dont celles-ci sont vécues par les communautés et les personnes concernées. Quels apprentissages émergent de ces interactions ? Dans quelle mesure et comment ces relations, qui sont au cœur du processus de co-construction des connaissances, permettent-elles de faire émerger des voix et des réalités souvent invisibilisées par les formes traditionnelles de recherche ? Les épistémologies critiques, notamment féministes et décoloniales, qui examinent les relations de pouvoir dans les recherches participatives (Tuhiwai Smith, 2012; Piron, 2017; Godrie et Dos Santos, 2017; Said, 2018; Simpson et Mendenhall, 2022), renforcent l’importance de l’attention portée par le symposium à ces deux questionnements. Les concepts d’extractivisme scientifique, de colonialité du pouvoir (Quijano, 2007; Derrider et al., 2022), de justice épistémique (Fricker, 2007; Medina, 2013; Visvanathan, 2016) et d’écologie des savoirs (Santos, 2014), qui ont été au centre des symposiums précédents, notamment à Xalapa (Mexique, 2021) et Tours et Orléans (France, 2023), ainsi que lors de la semaine préparatoire en avril 2024 serviront notamment d’analyseurs des expériences et réflexions qui seront partagées durant le symposium. Ces concepts, généralement formalisés par des universitaires, restent souvent abstraits pour les personnes premières concernées, alors qu’elles ont largement contribué à les élaborer pour rendre compte des réalités vécues, notamment dans leurs interactions avec le milieu universitaire et les acteurs politiques ou privés. Par exemple, l’extractivisme scientifique désigne une approche de recherche qui réduit les savoirs et réflexions critiques des communautés à de simples données à collecter et à analyser par des chercheur.e.s, qui publient ensuite leurs résultats dans des circuits académiques souvent inaccessibles aux personnes concernées (Wilmsen, 2008; Gudynas, 2013; Grosfoguel, 2016; Alcoff, 2022; Vanthuyne et Dussault, 2022). Dans les échanges préparatoires, des organismes communautaires ont souligné ce problème, évoquant le travail non rémunéré des participants et l’absence de retours de la part des chercheurs sur les résultats des recherches après la phase de collecte des données. La colonialité du pouvoir interroge quant à elle les structures du pouvoir héritées de l’époque coloniale dans la production des savoirs scientifiques. Cette colonialité du pouvoir peut accroitre l’extractivisme scientifique, les biais dans le choix des sujets et perspectives de recherche, et maintenir des hiérarchies de savoirs, marginalisant les connaissances traditionnelles, autochtones ou non occidentales des personnes premières concernées (Quijano, 2007; Derrider et al., 2022).
Ces défis appellent de nouvelles configurations relationnelles plus égalitaires entre savoirs qui sont parfois appelées, dans la littérature, « écologie des savoirs ». Ces défis appellent également les universitaires à repenser leurs méthodes de coproduction de connaissances et à intégrer ces concepts dans leurs domaines d’investigation et d’enseignement (Mondain et Goudiaby, 2022; Vanthuyne et Dussault, 2022). Une des manifestations les plus significatives de ce rapprochement avec les réalités étudiées réside dans l’engagement éthique de restituer les résultats en dialogue avec les personnes et communautés concernées dans des formats co-construits avec elles (First Nations Information Governance Centre, 2014; Hall et Tandon, 2017; Chan et al. 2020). Ces concepts interrogent également le rôle crucial des personnes directement concernées dans le processus de recherche, notamment dans la définition des réalités qu’elles vivent, la compréhension des enjeux qui les touchent et les solutions qu’elles peuvent envisager, sans réduire le rôle de la recherche à celui d’un simple soutien méthodologique (Godrie et al., 2020; Petiau, 2021).
- Publics visés
Premier public visé par le symposium : il s’agit des personnes concernées qui fréquentent des organisations (institutions publiques et organismes communautaires, notamment) ainsi que les professionnel·le·s intervenant auprès d’elles dans les organisations communautaires locales partenaires (voir programme). La gratuité des activités, les coupons pour des repas gratuits et les liens existants avec les organisations faciliteront leur participation. Second public visé : il concerne les 40 étudiant·es (maitrise et doctorat) et chercheur·euses émergent·es des différents pays qui auront l’occasion, notamment grâce aux 3 ateliers de la Relève scientifique, d’expérimenter et de s’approprier de nouveaux savoir-faire de communication et publication scientifiques tout en développant de nouvelles postures réflexives et éthiques liées à leur participation à des activités pratiques et des performances collectives. Ces activités favoriseront le développement de projets de recherche participative au Brésil, Canada, France et Mexique, favorisant des opportunités de mobilité internationale pour les personnes premières concernées et l’ouverture à différentes pratiques de recherche. Troisième public visé : les membres chercheur·euses universitaires et praticien·ne·s du Réseau, et plus largement de leurs communautés universitaires locales et internationales. Leur participation à des panels, des ateliers de rencontres avec les milieux de pratique et citoyen, et à des ateliers d’expérimentation dans et par l’art les amèneront à penser collectivement de nouvelles manières de construire et de mobiliser les recherches participatives, et à diffuser ces résultats dans leurs enseignements.
- Structure du symposium et mobilisation des connaissances
Le symposium se caractérise par la diversité des lieux dans lesquels il se déroule, alternant entre la communauté et le campus principal de l’Université de Sherbrooke (UdS). Il se distingue aussi par la diversité des activités déployées: 1) Scientifiques (panels universitaires et personnes premières concernées, ateliers de la relève étudiante); 2) Pratiques (temps de travail avec les organisations communautaires partenaires); 3) Expérimentales (création d’une performance artistique accompagnée par le Théâtre des Petites Lanternes). Ces activités gratuites et ouvertes au grand public, associées à des modalités spécifiques de formation de la relève scientifique et de mobilisation des connaissances en français, espagnol et portugais (blogue interactif, performance filmée, balados, bulletin, ouvrage collectif) permettront un rayonnement de l’activité auprès des publics identifiés. Elles s’articuleront autour de 3 axes interreliés, dont les thématiques sont reprises dans les panels du programme:
Axe 1 : Expériences vécues et contributions des personnes premières concernées. Il s’agira de connaître et de rendre compte des expériences de participation aux recherches des personnes concernées, de la place de ces recherches dans leurs parcours, de l’appropriation des résultats et de l’autonomisation des capacités d’action dans leurs milieux. Qu’est-ce que cela signifie de participer et de faire avec ? Comment ces personnes s’engagent-elles dans ces démarches, avec quelles attentes et ressources ? Quelles stratégies privilégient-elles pour la collecte et l’analyse des données ? Quels bénéfices retirent-elles des processus participatifs ? Quels impacts ces engagements ont-ils sur les réalités étudiées et sur les relations sociales qui en découlent ?
Axe 2 : Dépasser l’extractivisme scientifique. Les recherches avec comme espaces relationnels entre jeux de pouvoir et réciprocités. Les rapports de pouvoir autant que les postures éthiques peuvent contribuer à tisser du lien, à créer de la réciprocité. Comment favoriser les réciprocités et alliances dans une perspective de transformations sociales sans que les recherches participatives soient coupées de l’action ? Cet axe interroge la manière dont les recherches participatives questionnent, dépassent ou renforcent l’extractivisme scientifique et les rapports de pouvoir au sein des communautés participantes.
Axe 3 : Création artistique et empuissancement politique : renouvellement de nos pratiques et postures de recherche. Quelles sont les pistes de renouvellement de nos pratiques et postures de recherche? De quelle manière les moments et processus collectifs de création artistiques peuvent-ils participer à la construction de nouvelles relations sociales moins hiérarchiques et à renouveler les visions des réalités vécues et étudiées dans les recherches participatives ? L’activité préparatoire d’avril 2024 et les expériences des membres du réseau conduisent à penser que les processus collectifs de création artistique, dans leur dimension politique, peuvent favoriser une autre rencontre qui contourne et transforme les places établies et assignées, ainsi qu’à diffuser les résultats hors des circuits académiques pour contribuer aux débats publics.
Diffusion et partage des résultats de recherche. En amont du symposium : dès janvier 2025, les délégations expérimenteront différentes façons de donner la voix à des personnes qui ne pourront pas se déplacer (textes individuels et collectifs, capsules vidéo préenregistrées, utilisation du blogue interactif sur le site web du Réseau). Durant le symposium, des espaces sont prévus pour 4 panels permettant 12 interventions, en plus de 2 créneaux permettant à 36 étudiant.es de présenter une communication scientifique en personne et à distance. L’accompagnement du Théâtre des Petites Lanternes permettra une restitution des travaux de la semaine par l’expression corporelle sous forme de performance théâtrale filmée. Dans les suites du symposium, nous utiliserons différentes modalités de mobilisation des résultats, à visées pédagogique et scientifique, en ligne ou format papier, dans les 3 langues du symposium: 1) la captation de séquences vidéo des panels, échanges et performances qui seront mises en ligne sur la plateforme du Réseau comme expérimenté lors du symposium précédent; 2) la publication d’un ouvrage trilingue aux Éditions science et bien commun en libre accès (collection Réflexivités et expérimentations épistémologiques) permettant de publier en ligne des images, extraits audios et vidéos en plus du texte. L’ouvrage accueillera les contributions issues des panels et présentations scientifiques ainsi que des chapitres de résultats qui émergeront du symposium. L’évaluation des propositions reposera sur un processus d’évaluation impliquant des universitaires et des personnes concernées selon une pratique déjà expérimentée (Godrie et al. 2021); 3) 4 balados enregistrés durant et après la semaine sur les thématiques des plénières en dialogue avec des personnes concernées et diffusés sur les sites web des organisations partenaires ; 4) Un bulletin du Réseau en trois langues sur les activités de la semaine dans un langage accessible aux personnes concernées sera diffusé sur le site des partenaires et du Réseau.