Quand un lieu nous interpelle à faire de la recherche avec

C’est ici que j’ai ressenti…

Que j’ai su que quelque chose était possible.

Et que j’ai eu envie de vérifier si ce ressenti, cette conviction était partagé(e).

 

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Dans mon paradigme épistémologique, faire de la recherche avec, c’est une manière d’être en relation en étant, et en acceptant d’être, notamment, un liant entre les personnes avec qui je travaille, ma discipline et moi. Je travaille à partir de mon ressenti, de mes intuitions et de mes envies de vivre « ensemble » des expériences qui nous mettent en valeur et, ce faisant, visibilisent par des productions audiovisuelles nos actions et nos liens, sans les magnifier par une mise en scène élaborée, mais sans néanmoins en atténuer la gamme d’émotions qu’une telle démarche de visibilisation commune génère.

Mon projet officiel de recherche postdoctorale postule que je travaillerai au cours des deux prochaines années au cœur de deux espaces de mixité sociale préalablement identifiés et justifiés. J’ai séjourné récemment dans une ville du Canada pour amorcer cette réflexion sur la mixité sociale. J’y ai rencontré des personnes intéressantes et généreuses de leur temps et de leurs commentaires. Grâce à ces personnes, j’apprends sur le sujet qui m’intéresse, je réfléchis pendant cet apprentissage et je me demande comment mettre en place ma recherche au sein de cet environnement que j’ai proposé comme lieu de recherche.

Parallèlement, je visite d’autres lieux où sont implantée, ou en voie de l’être, cette idéologie de la mixité sociale. Et, en ce magnifique après-midi de semaine, j’arrive dans ce lieu qui me happe les sens. Je suis d’abord surprise par les picotements que je ressens ainsi que les battements de cœur qui se sont accélérés au fur et à mesure que je foule le sol de ce lieu (de vie) et le visualise à 360 degrés à plusieurs reprises. Je suis ensuite enchantée de commencer à comprendre et à verbaliser ce qui se passe : je « reconnais » ce lieu (de vie), c’est ici que le projet initialement conçu pour un autre espace pourrait se concrétiser.

Or, si ce lieu (de vie) m’inspire à faire de la recherche avec ici, suis-je en train de vouloir imposer « mon » projet et « ma » présence? La synchronicité du moment m’a fournie quelques avenues de réponse.

Quelques secondes après avoir tourné les images d’une deuxième vidéo, une adolescente est sortie d’une de ces maisons.

Spontanément, je suis allée vers elle et je l’ai saluée. Après quelques paroles échangées, je lui explique les grandes lignes de ce que j’espère devenir « notre » projet et je lui demande si elle pense que ce type de projet pourrait fonctionner « ici ». Elle me répond : « Oui » et elle ajoute : « Madame, je pourrais travailler pour ce projet » comme si elle avait saisi qu’elle pourrait, si elle le souhaitait, avoir et faire sa place au sein de celui-ci. Nous nous sommes laissées sur ses paroles : « Quand tu reviendras [pour concevoir mon curriculum vitae avec moi], tu vas me retrouver. Tout le monde me connaît ici. »

J’ai continué de marcher, sans autre objectif que de continuer de ressentir l’exaltation de « (sa)voir ».

KTruchon_Nov2014_Carte2

Quand j’ai eu le sentiment que ma reconnaissance de ce lieu était terminée, j’ai croisé deux femmes discutant sur le parquet de l’appartement de l’une d’elle. Spontanément, je suis allée vers elles, mais je me suis arrêtée en nommant toutes sortes d’excuses. J’ai continué mon chemin pendant quelques pas, me suis arrêtée et je suis retournée vers elles.

KTruchon_Nov2014_Photo no de porte

Je me suis présentée et j’ai, à nouveau, esquissé les grandes lignes de ce projet de recherche que je ressens pour « nous ». Une des deux femmes me confirme, comme l’adolescente rencontrée plus tôt, que je ce type de projet pourrait fonctionner dans ce lieu. Elle me dit, d’emblée, que X est organisatrice communautaire, qu’elle vient déjà dans ce lieu et que je devrais la contacter. De son téléphone cellulaire au mien, le numéro de X transite. Mon interlocutrice me demande ensuite si ce projet est destiné seulement aux enfants. Je réponds que toutes les personnes, peu importe leur âge, pourraient y participer et cela semble lui faire plaisir. Elle me demande finalement ce que j’allais faire de ce projet et qui allait décider de celui-ci. J’ai répondu que « nous » allions décider, tous et toutes ensemble et cela a semblé, encore, lui faire plaisir.

Quelques jours plus tard, j’appelle X et lui mentionne que j’ai rencontré ces personnes qui m’ont référée à elle pour ce projet. X, gracieuse, accepte de me rencontrer avant mon départ. En 40 minutes, nous avons discuté du projet potentiel, de notre potentielle collaboration et celles d’artistes qui travaillent déjà avec des personnes du lieu de vie en question ainsi que des mécanismes d’appropriation de ces personnes. Il a été convenu que j’allais préparer un document qui allait servir de base de travail que j’enverrais à X, intéressée à poursuivre la conversation.

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Je ne sais pas encore si le projet ressenti surviendra car plusieurs éléments doivent continuer d’être présents. Cependant, ce que j’ai vécu illustre qu’un projet peut être parfait sur papier, mais c’est sur place, avec les personnes qui occupent ce lieu (de vie) que celui-ci prend forme. Ou pas. C’est la subtile nuance, la fine ligne entre « faire marcher un projet » et « élaborer ensemble un projet dans un cadre et bouger ensemble dans ce cadre ».

Crédits photos et vidéos: Karoline Truchon

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POUR REJOINDRE L’AUTEURE :

Karoline Truchon, chercheure postdoctorale,

Center for Oral History and Digital Storytelling (COHDS), Concordia University

k_trucho@live.concordia.ca

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