Analyse institutionnelle et formation

L’objectif de ce dossier d’Éducation permanente, auquel ont contribué de nombreux membres du réseau Recherche avec, est de donner à voir certains développements, prolongements et usages actuels de l’analyse institutionnelle en formation, en France mais aussi à l’étranger, dans les secteurs de l’éducation, de la psychologie, de la santé et du travail social, montrant ainsi, ne fût-ce que partiellement, sa vitalité et sa diversité.

Les articles font référence à l’analyse institutionnelle mais aussi à la socio-clinique institutionnelle, qui en constitue un prolongement clinique en situation d’intervention, de formation et de recherche. Dominique Samson revient sur un volet de l’histoire du centre expérimental de Vincennes où allait s’implanter et se développer l’analyse institutionnelle. Elle y montre les rapports complexes des enseignants-chercheurs institutionnalistes avec le projet d’éducation permanente qui semble pourtant leur avoir été favorable. Cinira Fortuna et Adriana Barbieri Feliciano décrivent l’institutionnalisation de l’éducation permanente en santé au Brésil. Dans ce contexte, l’analyse institutionnelle est mobilisée pour penser la mise en œuvre d’une démarche visant à introduire une réflexivité dans les pratiques professionnelles en train de se faire. Il s’agit de mener de front l’analyse des pratiques professionnelles et celle de la politique dans laquelle elles sont prises.

Anthropologue de formation, Marguerite Soulière témoigne de son appropriation de l’analyse institutionnelle et de son usage dans la formation des étudiants en travail social à l’Université d’Ottawa. Comment échapper à l’aliénation dans des institutions où pèsent des règles de gestion de plus en plus souvent contradictoires avec certains principes du travail social ? C’est ce chemin qu’elle explore. Dans la même veine, l’article de Maria José Garcia Oramas revient sur un mouvement étudiant au sein de la faculté de psychologie de l’Université de Veracruz et sur ses effets de prise de conscience. L’évolution de l’influence de l’analyse institutionnelle et le croisement de celle-ci avec les théories du genre sont décrits pour dessiner une perspective dans laquelle les modes de domination sont pensés par celles et ceux qui les vivent.

Simone Santana da Silva, Cinira Fortuna et Gilles Monceau reviennent sur une recherche doctorale consacrée à l’institutionnalisation de la naissance par césarienne dans deux pays contrastés : le Brésil et la France. L’adoption d’une démarche socio-clinique institutionnelle amène à travailler simultanément les pratiques des professionnels et un processus d’institutionnalisation traversé par des contractions évolutives dans les deux pays. Ce faisant, des pistes de formation peuvent être imaginées afin que les professionnels de santé ne reproduisent pas aveuglément des pratiques iatrogènes. Patricia Bessaoud-Alonso propose une analyse des tensions et des contradictions institutionnelles présentes dans les dispositifs de soutien et d’accompagnement à la parentalité. Dans son parcours de recherche, les concepts d’institution et d’implication ont guidé la conduite de recherches collaboratives permettant à des parents et à des professionnels de situer leurs expériences propres dans un contexte socio-historique déterminé. Vincent Enrico travaille, lui aussi, entre recherche et formation, en développant des recherches collaboratives dans le secteur sanitaire et social. La socio-clinique institutionnelle y apparaît comme une référence intéressante dans le contexte actuel du travail social où les collaborations entre acteurs et entre professions sont promues. Comme le rappelle l’auteur, il s’agit non pas d’appliquer des principes rigides à des recherches menées sur des terrains différents mais de s’appuyer sur un cadre permettant d’analyser leurs déroulements et leurs effets.

Maria-Livia do Nascimento et Roberta Romagnoli reviennent sur la diffusion de l’analyse institutionnelle au Brésil, particulièrement dans le domaine de la psychologie. Elles montrent comment l’usage du journal de terrain lors des stages des étudiants psychologues peut permettre de combattre les représentations dichotomiques et l’idée selon laquelle il y aurait des vérités définitives en psychologie. Claire de Saint Martin rapporte son expérience de recherches collaboratives sur les processus d’inclusion incluant des personnes en situation de handicap. Ces travaux interrogent l’existence d’une limite à la collaboration en recherche liée aux statuts sociaux des personnes impliquées. On comprend alors que la réponse se trouve en grande partie dans l’ouverture de la chercheuse à un remaniement fréquent du dispositif de recherche socio-clinique.

L’article de Corinne Rougerie et Gilles Monceau clôt ce dossier en analysant, sur la base de différentes situations, comment la formation à et par la recherche peut contribuer à former les cadres du travail social en France. La démarche socio-clinique institutionnelle n’a cependant d’intérêt dans ce cadre que si elle bouscule les représentations en place chez de nombreux professionnels concernant la recherche et la formation.

Au total, ce dossier propose une circulation entre différents pays et différents milieux professionnels pour interroger l’actualité de l’analyse institutionnelle en formation et en recherche. Les articles montrent que les deux gagnent à être pensées et menées ensemble. La démarche socio-clinique institutionnelle interroge de fait la séparation entre ces deux domaines d’activités ou, pour le dire autrement, la séparation entre ces deux institutions que sont devenues la recherche et la formation.

À la suite d’autres publications récentes , le concept d’institution se trouve réinterrogé. Il apparaît que le terme est aujourd’hui souvent utilisé pour décrire le seul institué (le déjà-là, le stable, les routines qui rassurent) et non pas la dynamique institutionnelle telle qu’elle avait été théorisée par Lourau. Ce malentendu persistant rend difficiles les échanges à propos du devenir des institutions. Dans le même temps, des recherches sur le processus d’institutionnalisation se développent dans différents domaines. Dans l’éducation, la santé ou le travail social, elles font de plus en plus nettement apparaître l’influence de la nouvelle gestion publique sur l’évolution des pratiques professionnelles. Parce qu’elle est présente au plan international et transversale à différents domaines professionnels, l’analyse institutionnelle est particulièrement bien outillée pour travailler ce phénomène contemporain.

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